Il y a quelque temps que je ne lis plus de littérature pour ados. Et que je n’en écris plus. N’ayant plus autour de moi d’ados, même prolongés, il semble que j’aie perdu mon intérêt pour les histoires les concernant. Sans doute cela procède-t-il d’un certain égocentrisme, voire nombrilisme... Je ne suis pas non plus fan de dystopie, un genre souvent présent dans la littérature destinée aux jeunes. Je viens cependant de lire le dernier roman de Vincent Villeminot, Nous sommes l’étincelle : la sympathie que m’inspire son auteur n’est pas étrangère à ce choix, mais ce sont surtout les réactions très enthousiastes de lectrices dont je pense le jugement sûr qui m’ont donné envie de le découvrir. Belle découverte en effet. La réflexion sur les dérives possibles de notre société est fine et je l’ai même trouvée parfois assez drôle, quand l’auteur imagine par exemple que le véganisme s’est imposé, entraînant prohibition et trafic des produits animaux, ou que la lutte systématique contre les violences faites aux femmes conduit à laisser les agresseurs aller quasiment jusqu’au bout d’un viol pour mieux les punir. L’histoire puise ses racines dans notre présent, évoquant les accords de Grenelle, les lois anti-terroristes, les violences des hooligans ou les grèves et manifestations des lycéens européens pour la planète, pour nous montrer comment une génération tente d’inverser le cours des choses en décidant de ne plus jouer le jeu. Mais ce fond de réalité s’estompe lorsque le récit bondit quelques décennies plus avant et s’intéresse à l’évolution de cet essai d’utopie. Le roman bascule alors dans l’univers du récit d’aventures, voire du conte, où des loups et des ogres cruels pourchassent des enfants à travers la forêt, où un gentil géant, un ermite mystérieux et un simple d’esprit vivent cachés dans les arbres, où une famille joue les Robinson suisses en harmonie avec la nature. On pourrait craindre alors de tomber dans le manichéisme inhérent à ces genres plus enfantins : mais ici les différents protagonistes ont connu des parcours complexes, les « gentils » n’ont pas toujours été du bon côté, et les lendemains déchantent après les rêves de monde meilleur. La narration est complexe, avec de nombreux va-et-vient temporels qui nous font suivre tantôt une génération, tantôt la suivante, et cela risque d’égarer quelques lecteurs distraits. Elle reste cependant maîtrisée et, à condition de lire le roman sans trop d’interruptions (mais c’est une lecture prenante que l’on n’a pas envie de faire traîner), on ne perd pas le fil. Il y a enfin l’écriture, forte et délicate, musclée et poétique, qui épouse à merveille la violence et la tendresse de cette histoire et emporte le lecteur jusqu’à la page finale. Une belle lecture donc, qui m’amène cependant à questionner la catégorie "Young Adult" dans laquelle tout le monde semble s’accorder à classer ce texte. je tâcherai de proposer quelques réponses dans mon prochain article...